Lucile Quero se définit comme experte en image de marque des entreprises responsables. Sur les réseaux sociaux, elle est devenue l’une des références en matière d’éco-conception graphique. Le principe : réduire l’impact de sa communication sur l’environnement et l’humain. Rencontre avec une designer engagée, qui met ses compétences au service d’un quotidien toujours plus éthique.
Peux-tu résumer en quelques mots ton parcours professionnel ?
J’ai toujours voulu travailler dans le milieu de l’art. Après le Bac, j’ai fait une prépa artistique, j’hésitais entre l’architecture et le graphisme. Je suis finalement tombée amoureuse du graphisme. Je me suis formée dans les domaines de l’impression et du numérique. Après mes études, j’ai travaillé dans une agence de communication digitale. J’étais noyée parmi 40 créatifs pour répondre aux briefs de gros clients. On ne parlait pas de développement durable dans le milieu.
À la fin de mon contrat, je suis partie vivre 3 mois en Amérique Latine. J’ai travaillé dans un studio de création graphique, au sein d’une équipe soudée, dans une ambiance familiale. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à m’interroger sur ma consommation de viande. Je n’avais jamais vraiment aimé ça, et les Argentins en sont très friands ! Je me suis beaucoup documentée, et j’ai réalisé l’impact de la consommation de viande sur la planète et les animaux. J’ai réduit petit à petit, et j’ai commencé à m’intéresser au zéro déchet, à modifier peu à peu mes consommables. J’étais dans une transition personnelle.
Qu’est-ce qui t’a poussé à devenir freelance ?
De retour à Paris, j’ai de nouveau travaillé pour une agence de communication digitale. J’étais chargée du design de gros clients, dont la Française des jeux. J’ai commencé à vouloir intégrer la dimension environnementale dans mon travail, mais ça avait du mal à passer… Je me suis vite ennuyée, j’ai décidé de travailler chez des annonceurs ayant la fibre écologique. Mes candidatures n’ont pas été retenues et j’ai eu l’idée de reprendre la micro-entreprise que j’avais lancée pendant mes études. À l’époque, je faisais quelques missions pour un imprimeur. J’ai refait mon site, j’ai eu mes premiers clients.
J’avais très envie de travailler avec des acteurs du changement.
Comment en es-tu arrivée à te spécialiser dans l’éco-conception ?
J’ai commencé à faire de plus en plus de recherches sur l’impact du graphisme sur la planète. Je me suis interrogée sur les matériaux, les fournisseurs… J’ai acquis beaucoup de savoirs grâce à mes clients et ma veille régulière. Je recevais beaucoup de questions et j’ai décidé d’en faire un livre. J’ai lancé une campagne de crowdfunding qui a largement atteint ses objectifs. Je ne voulais pas passer par une maison d’édition, je souhaitais garder la main pour réaliser l’ouvrage le plus éco-responsable qui soit, en faire un exemple d’éco-conception. Pour aller plus loin dans la démarche, j’ai lancé une formation. La première session a eu lieu début 2022. J’ai formé 8 femmes créatives ultra motivées ! L’éco-conception n’est pas ou très peu enseignée dans les écoles de graphisme, alors qu’elle l’est dans les formations d’architecte. J’ai envie de déployer ce savoir auprès de tous les graphistes !
Quels sont les piliers de l’éco-conception, en print et sur le web ?
Il faut d’abord faire évoluer sa démarche créative. En règle générale, on se base sur les besoins du client, on fait un devis, on réalise son projet sans vraiment s’interroger sur l’impact de tout ça. Ce que je préconise, c’est de prendre en compte le cycle de vie de son support : l’ordinateur utilisé, les matériaux, le transport et l’énergie que ça demande… Il faut appréhender l’ensemble des parties prenantes, puisque tout est lié ! C’est ce qu’on appelle une démarche systémique. Sur le web, le choix d’un hébergeur vert est primordial. Je dirais que le dernier pilier, c’est d’être à l’affut des innovations, dans une veille constante.
As-tu remarqué une demande de plus en plus forte, liée à la prise de conscience des enjeux environnementaux ?
Malheureusement, la demande vient rarement du client. Les prospects viennent à moi parce que je suis une graphiste engagée, mais ils connaissent peu l’impact de leur communication sur la planète. En tant que designer, nous devons éduquer nos clients sur ces sujets. Certains ont des aprioris, comme l’utilisation de papier kraft ou l’impression en couleur verte. Après un questionnaire rempli par mon prospect, je réalise un « éco-brief », qui inclut la partie créative et toute une réflexion sur l’environnement. J’y intègre des pistes pour que leur outil de communication soit le plus éco-responsable possible.
Les prospects connaissent peu l’impact de leur communication sur la planète
Rencontres-tu des difficultés dans la démarche d’éco-conception ?
À titre d’exemple, je préconise les encres végétales, les encres minérales étant toxiques et réalisées à base de pétrole. La difficulté, c’est qu’elles sont uniquement disponibles en impression offset. Pour compenser, on peut choisir d’éco encrer son support, avec un taux d’encrage total ou inférieur à 100 %, ce qui facilite le recyclage. Le choix des papiers est aussi primordial : certains papiers sont fabriqués sans arbre, à base de résidus agricoles, de raisin, d’agrumes ou de café. Leurs tarifs sont également plus élevés, mais on peut faire le choix d’imprimer en moins d’exemplaires pour compenser. Et leur rendu magnifique aide aussi l’entreprise à affirmer un positionnement respectueux de l’environnement ! On essaie aussi de faire en sorte qu’il n’y ait pas de perte de papier, en adaptant le format ou en réutilisant les chutes, pour emballer ses colis par exemple. Il faut parfois faire des compromis, par exemple quand la hiérarchie est moins engagée que la personne en charge de la communication.
L’éco-conception permet aussi d’affirmer un positionnement respectueux de l’environnement !
Penses-tu que création de contenu et éco-conception sont compatibles ?
Je pense que oui, tout dépend du message et de ce que tu véhicules. Ton contenu doit apporter quelques chose à ton audience. De mon côté, je fais en sorte que ça marque, que ça provoque un déclic chez mes lecteurs, que ça améliore leur qualité de vie. Je ne culpabilise pas du tout de créer du contenu sur mon blog ou mes réseaux sociaux ! Je préfère utiliser ces outils pour faire bouger les choses et compenser par d’autres actions : utilisation d’outils moins énergivores, choix d’un hébergeur vert, etc.